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Le fourré

Extrait

Soudain, Cédric consterné devient livide : juste devant lui, à peine dissimulé derrière un arbuste, son ami Roland se fait saillir par un personnage musculeux, sorte d'ogre rougeâtre de coups de soleil, bedonnant, chauve, avec des tatouages en forme de hideux serpents qui entourent ses jambes, juste vêtu de chaussures de ville et de chaussettes noires en nylon tombant en accordéon. Roland savoure manifestement la situation et ne se trouve pas du tout gêné de sa rencontre avec Cédric. Il semble même le défier, comme par vengeance perfide, pour lui faire payer une infidélité supposée, alors que Cédric n'a absolument rien fait d'outrageant avec Benoît : jouer, discuter agréablement, être en sympathie. Qu'est-ce que la folie de la jalousie ne peut faire ? En même temps, Roland continue à satisfaire goulûment un personnage libidineux et défraîchi, dont la peau toute plissée tombe en amas gélatineux et les bras presque atrophiés font penser à une momie décharnée. Roland, qui n'est déjà pas très ragoûtant, s'est mis dans la situation la pire pour se faire valoir, un vrai guignol, mais peu importe. Sa hargne jalouse de maniaque le pousse à concevoir des provocations insensées pour faire mal à son compagnon. Quelle bêtise ! Benoît songe qu'il ne tolèrerait pas un tel affront ni une telle médiocrité, mais il se garde bien de juger et de rajouter quoique ce soit à la douleur de Cédric qui se contente de déclarer : " Rentrons ! de toute façon ce salopard a sa voiture. "

Roland est souvent très excessif, il sait qu'il n'est pas beau et que Cédric pourrait espérer beaucoup mieux ; alors il retourne cette obsession dans sa tête, développe une haine maladive et finit par punir Cédric en lui montrant que lui, Roland, il peut plaire - et au-delà. Dommage pour lui, mais il ne réussit à attirer que des demi-monstres, ceux repoussés par tous les autres. Comme excuse, Roland déclare qu'il raffole du sirop de n'importe quel corps d'homme !

Didier Mansuy

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